« On s'en va, Ebenezer, on quitte la ville à la fin du mois. » Tout avait si bien commencé, pourtant. « Qu'est-ce que ça change ? Tu n'étais jamais là.. c'est mieux comme ça. » Comment en étais-je arrivé là ? Comment avait-on pu balayer cinq ans de relation aussi facilement ? « Que.. quoi ? Tu me fais quoi là ? Mieux pour qui, pour moi ou pour toi ? » Je me rappelais encore de cette réception où je l'avais rencontré, j'étais venu seul et elle aussi, nous étions sur la même longueur d'onde. « Je suis désolée. » Puis un jour elle tomba enceinte et je l'épousais peu de temps après. On s'aimait, enfin je croyais. « Au revoir, Ebenezer. » Comment dire... ça m'est longtemps resté en travers de la gorge et quatre ans se sont écoulés depuis son départ, emportant avec elle mes deux fils -des jumeaux- sans ne m'avoir jamais dit où elle passerait le reste de sa vie. Quelle importance ? Elle savait que je serai déjà reparti avant même qu'elle ne plie bagages. Ah c'était beau l'amour ; se passer la bague au doigt, échanger nos voeux et sceller notre union en signant un bout de papier... pure connerie. Deux ans, c'était tout ce que ça avait duré. Elle n'avait pas supporté mes absences, mon engagement et ma deuxième vie ; celle que je menais au front. Je suis entré dans l'armée à mes dix-huit ans et je m'y étais engagé pour la vie. Je n'avais même jamais envisagé de faire des études, d'ailleurs je n'étais pas le plus modèle des élèves ni le plus sage, disons que ce n'était pas pour moi. J'ai voulu suivre les traces de mon père, lui-même militaire. Il a été très présent pour moi suite à cela, car lui aussi avait souvent été absent, engagé, menant sa seconde vie au front. Et quand il rentrait au pays, ma mère l'y attendait toujours, jusqu'à ce qu'on vienne lui annoncer sa mort. Je ne lui ai jamais dit, mais j'étais présent lorsque c'est arrivé, lorsqu'il a sauté sur cette foutue mine.. Monde cruel, mais j'avais choisi d'emprunter cette voie et de mener cette vie de danger perpétuel. Ma mère ne l'a pas supporté, elle ne voulait pas qu'on vienne une nouvelle fois frapper à sa porte pour son fils, alors elle était parti. Du jour au lendemain, sans laisser de trace et avec pour seul adieu, une lettre. Peut-être que je m'étais marié pour me donner l'illusion d'avoir une vie dehors, car je sais aujourd'hui que je ne l'aimais pas. Sara est la mère de mes enfants et j'en étais heureux, avant, puis elle s'est volatilisée et plus rien n'a compté. Personne ne m'attendait plus lorsque je rentrais, je n'ai ni frère ni soeur, j'étais seul. Il y avait les amis bien sûr et sans eux je ne serai sans doute pas le même homme aujourd'hui, mais ça ne comptait pas vraiment. Si je dois vous en parler cependant, il est vrai que j'ai eu fait de belles rencontres à Eden Isle, la ville où je suis né et dans laquelle je vis toujours. Si je devais citer un nom parmi les autres, alors je vous parlerais d'Izalys. Avant, il était chirurgien et j'étais un soldat blessé, mais ça c'était avant. Aujourd'hui nous sommes bons amis et je crois qu'il est parmi les seuls en qui j'ai réellement confiance, il m'a même soutenu après le départ de mon ex-femme. "Je ne me laisserai plus distraire par une relation" disais-je, pas avant des années, non, l'armée était ma vie et je m'en étais convaincu.

Ça nous tombe dessus sans prévenir, sans même qu'on l'ait demandé et surtout lorsqu'on s'y attend le moins. Vous savez, l'amour. Ça existe, finalement et il m'aura fallu des années avant de le connaître à mon tour, ce sentiment que l'on décrit si merveilleux. Je ne croyais pas aux coups de foudre, ni aux coups du destin et encore moins aux âmes soeurs, puis j'ai rencontré Eva-Leonn. « A l'aide, à l'aide quelqu'un ! S'il vous plait, elle va se noyer ! » J'étais venu passer du bon temps à la plage et profiter du soleil lorsque cette femme se mit à crier. Je ne pense pas avoir été le plus proche, mais j'ai réagi au quart de tour et me suis jeté à l'eau sans même réfléchir. Les vagues avaient dû la prendre par surprise, cette pauvre jeune fille qui, lorsque je la ramenai sur le sable, ne respirait déjà plus. J'ai fait le nécessaire pour la ramener et puis elle a ouvert les yeux. Ça m'est tombé dessus sans prévenir, sans même y avoir pensé, sans même m'en rendre compte. J'aurais pu repartir et me contenter de sa reconnaissance, à la place je lui rendais visite toute la semaine qui avait suivi. Elle était jeune, trop jeune pour un homme de dix ans son aîné et pourtant, elle a su tout changer. Je n'ai plus été le même après ça, j'ai commencé à penser différemment et même à penser au futur, à ne plus me contenter du présent. Eva-Leonn et moi avons communiqué par lettres après ça, j'attendais chacune d'elles avec impatience et c'est alors que j'ai compris que je l'aimais. Je l'aime depuis le premier jour, j'avais juste été trop fier ou trop déçu par mon mariage pour l'admettre. J'ai longtemps douté malgré tout, mais à chaque fois que je revenais au pays, elle était là pour m'accueillir. Nous avons commencé à sortir ensemble peu après son entrée au Conservatoire, Eva est une violoniste hors pair et je suis certainement son plus grand fan, mais c'est aussi une jeune femme merveilleuse. Ce que je vivais avec elle était totalement différent de ce que j'avais pu vivre avec Sara, mon ex-femme. Avec Eva, il m'arrive de parler d'avenir ou même d'y penser et j'en suis venu à faire un choix qui changerait tout : j'ai quitté l'armée et aujourd'hui je suis en route pour Eden Isle. Je rentre définitivement chez moi, aux côtés de la femme qui sans aucun doute est celle de ma vie et qui m'attend depuis trop longtemps. Nous serons bientôt une famille d'ailleurs, Eva est tombée enceinte il y a plusieurs mois et même si au départ, j'étais un peu réticent en raison de son jeune âge, je me suis finalement fait à l'idée. Je vais être papa ! Même si techniquement, je l'étais déjà, mais cette fois serait différente. Cette fois je serai là pour Eva, pour mon enfant et je ne répéterai plus les erreurs du passé. C'est pourquoi j'ai voulu démissionner, pour cela et une autre raison un peu plus sombre... Un homme tournerait autour d'Eva et il ne serait pas très net, parait-il et je ne pouvais pas laisser passer ça. Il était temps que je revoie mes priorités et à présent, je savais que l'armée n'en faisait plus partie, j'y avais fait mon temps.