« Nous avons tous déjà rêvé de faire partie d'un compte de fée. L'illusion du monde parfait, d'une terre sans défaut, de gens tous aussi incroyablement bons et beaux les uns que les autres. Et nous, au centre de la toile, virevoltant sous les yeux éblouis de tous nos camarades, le centre d'attention de toutes ces personnes ne demandant qu'à se joindre à notre bonheur. »



Ma vie débute en son commencement. Sans doute une belle journée de printemps, à la fleuraison des premières fleurs de ce nouveau tableau multicolore qui se développait en même temps que la fleuraison de notre bonheur, un vingt et un avril chanceux pour cette nouvelle famille. Je fus sans doute entouré de parents aimants et réconfortants. J'eus sans doute tous les cadeaux imaginables pour une fillette de quelques mois. Mais décider de notre destin serait comme vouloir tracer le chemin d'un éclair, et prévoir là où il frappera n'est malheureusement pas en notre pouvoir. L'âge exact que je possédais lorsque cet événement est survenu, je n'en ai pas la moindre idée et le savoir ne m'intéresserait pas plus. Ils eurent un accident et la seule chose dont la mémoire eut la gentillesse de me confier fut le souvenir qu'ils furent mort, pour une cause qui ne m'a jamais été confiée. J'étais trop jeune pour savoir, disait-on. Alors, j'ai été placée en famille d'accueil. Une famille idéale, celle dont tous les enfants doivent rêver. J'étais entourée de ce qui était à mes yeux un frère et de toute une famille adoptive qui devint rapidement la mienne. Ma chambre était de couleurs rosâtres. Je possédais les plus beaux meubles, les plus beaux accessoires, le plus bel environnement qui ne puisse exister. Mais très rapidement, mon trouble devint visible, mon incapacité à parler m'attira tous les regards. Cela me prit quelques années à comprendre les usages de la vie, mes premiers mots furent pénibles et prirent beaucoup de temps avant d'apparaître au grand jour. Désormais, je comprends leur tristesse lorsqu'ils me regardaient, plein d'espoir, espérant enfin entendre mes premiers pleurs, mes premiers rires, ou peut-être même mes premiers mots. Mais rien ne sortait de ma gorge, seules mes lèvres bougeaient en quelques mouvements incompréhensibles significatifs des bébés. Ma seule différence des autres était que je ne parlais pas et de ce fait, je fus incomprise pendant de longues années. Même lorsque je finis par dire mes premiers mots, lors de mes trois ans, ma façon de penser, d'agir et simplement d'exister différait grandement de celle de mon entourage. Ma mère m'inscrit même à une splendide école privée de l'état Californien, dans l'espoir que je m'y épanouisse.

Mais je ne parlais à personne, je demeurais simplement dans mon coin et les rares personnes à qui j'adressais la parole finissaient tôt ou tard par me traiter de folle, de disjonctée, d'incompréhensible. Rapidement, je finis par le croire et je grandis dans cette existence difficilement supportable. Mes parents, de leur côté, étaient si fiers de moi que depuis longtemps je me sentais comme leur propre fille et la différence qu'ils n'étaient pas mes géniteurs m'importait peu. Je poursuivis ma petite vie tranquille de rejetée socialement, me réfugiant dans les bouquins culturels et mes compétences scolaires grimpant de jour en jour, faisant de moi une bolée intelligente et introverti et par conséquent, la risée de tout le lycée. Malgré tout, et ce ne fut pas par courage, mais par simple désir de fuir ce monde de jeunes imbéciles, je parvins à rejoindre les programmes de chimie et de biologie du plus haut niveau qui était offert dans mon cégep, afin de me permettre de rejoindre l'une des meilleures universités. Mon entrée à l'université fut mémorable. Je voyais dans ces multitudes de bouquins et de projets interminables une source de bonheur, c'était à mes yeux mon propre univers, la source qui me comprenait le mieux. J'obtins mon diplôme universitaire de premier cycle après trois ans acharnées passées à travailler la spécialisation en microbiologie. Et lorsque j'obtins ce baccalauréat tant espéré, mon parcours pris une tournure pour le moins déstabilisant.

Je n'en pouvais plus de ce décor, je ne supportais plus ces murmures qui me traitaient de folle pour un passé que je n'avais jamais été en mesure de vivre. Lorsque j'eus un accident de voiture, me cassant par le même fait les hanches, les regards de pitié que l'on me lança furent insupportables et me mirent dans une rage noire. Je passa quelques semaines à l'hôpital, satisfaite de m'éloigner du monde extérieur. Mais rapidement je fus en mesure de sortir de cet asile miniature et je n'eus plus envie de poursuivre dans cette voie qui m'avait depuis longtemps été tracée, sans même que j'eus le droit à mon envie. J'eus envie de goûter à l'aventure, de démarrer une vie comme tous mes semblables qui avaient été pourtant si différents de moi, me traitant de cinglée et de détraquée. Au lieu du métier d'analyste microbiologiste qui m'était accordé, je pris le vol en direction d'un monde qui m'était totalement inconnu, m'envolant vers une nouvelle vie, une nouvelle existence.

« Nous avons tous déjà rêvé de faire partie d'un compte de fée... »