« À quoi ça sert d’être en vie si on a pas de raison de l’être. »
T’étais assis sur le rebord de la fenêtre, balançant tes jambes d’avant en arrière en recrachant lentement la fumée de ta cigarette. T’étais comme au bord d’un gouffre à te demander ce qui pouvait t’attendre quelques mètres plus bas, tes yeux se posèrent sur le trottoir, la distance ne te faisait pas peur, rien ne t’effrayait. Tu restais silencieux, te fondant à la perfection dans les ténèbres, si tu te jetais, est-ce que t’allais finalement t’écraser et ne rien voir d’autre que le béton peint de ton sang avant de te laisser envahir par la plénitude et tomber dans les abysse pour finalement mourir comme un idiot ? Est-ce qu’une nouvelle vie t’attendait de l’autre côté du miroir, une fois avoir traversé ce tunnel blanc si célèbre, est-ce que t’allais te réincarner, tout oublier, avoir une seconde chance ? Tu le savais, tu n’aimais pas dieu et lui ne te portait pas dans son cœur, l’explication numéro une te paraissais la plus plausible. Tes yeux se posèrent sur le paysage montagneux qui se dressait devant ta petite personne, de la neige, encore et toujours cette même neige qui recouvrait Juneau de son manteau glacé mais néanmoins magnifique. T’avais pas froid, t’avais jamais froid, pourquoi ? Toi-même tu te le demandais et pourtant, tu restais là, perché sur l’encadrement de la fenêtre à penser. Le passé, douloureux passé te hantais comme chaque soir. Tu te demandais où était passé le petit garçon dont la joie de vivre égayait l’Alaska, celui qui courrait et se fichait éperdument de ce qu’on pouvait penser de lui, Maël, l’enfant miraculé qui naquit à Juneau alors que l’hôpital était proie aux flammes. T’es parents ne t’espéraient plus, on te détestait, tu portais le poids de cette tragédie sur tes petites épaules frêles, tu vivais avec, la population pestait sur ta famille parce qu’il fallait bien un bouc émissaire, un fautif dans cette histoire mais tu t’en contre fichais, parce qu’au fond, tu ne comprenais rien à la vie. Qu’est devenu ce petit être innocent et fourbe ? Mort, probablement, enterré à tout jamais, remplacé par cet adolescent rebelle et renfermé que t’étais. Un musicien de misère qui jouait dans des bars miteux à la recherche de reconnaissance, mais tout le monde se foutait de toi, la seule chose qui te restais c’était ta fierté et cette capacité à faire la sourde oreille, ne pas écouter les rumeurs et les injures que l’on pouvait te lancer à la figure, tu restais la tête haute, guitare sur la poitrine et tu continuais encore et encore de gratter ses cordes, t’accrochant à ton rêve comme l’on s’accroche à la vie. T’aimais l’Alaska et pour rien au monde tu ne voulais quitter ce petit bout de monde qui restait un coin mystérieux et magique aux yeux des étrangers. T’aimais te perdre dans la toundra pendant des jours pour refaire surface parfois l’espace de quelques heures. T’étais un nomade, c’était dans tes veines, t’y pouvais rien. Tes parents te décrivaient comme un voyageur, t’étais presque un étranger à leurs yeux, ils ne connaissaient que le vagabond que tu étais. Au bout du compte t’as grandis, comme chaque adolescent, ta tête pleine de rêve s’était totalement vidée, tu voyais la vérité en face de toi, t’allais rien faire de ta vie, tu restais chez tes parents mais tu ne parlais pas, t’étais enfermé dans ton coin, si bien qu’ils ont abandonné toute tentative de communication avec ta petite personne. T’étais égoïste, tu le savais, ça te faisait mal mais tu t’en fichais parce que depuis gosse on te rabâchait la même chose, t’étais un accident et t’étais le fautif de cet incendie alors que tu n’avais même pas ouvert les yeux et poussé ton premier gémissement, t’étais une loque humaine et tu l’assumais oui, tu l’assumais pleinement et tu as fini par accepter sans broncher ce que l’on pouvait te dire, tu jouais l’autruche et ça te plaisait. Les couleurs ternissaient d’année en année, tu te lassais de ton quotidien mais t’étais bloqué dans ce cercle vicieux, condamnée à dépérir dans ce trou qu’était Juneau. Tu restais des heures à fumer, assis sur cette fenêtre à contempler le monde extérieur, tu voulais voir ce qui s’étendait au-delà des montagne et des lacs gelés, tu voulais ouvrir les yeux et voir qu’il n’y avait pas que le froid et la neige qui formait cette planète, t’avais une envie irrépressible de quitter ces terres qui t’avaient vu grandir, quitter cette ville qui te haïssais et prouver à ces idiots que tu n’étais pas aussi bête.

Ta tête était posé contre le hublot, tu rêvais, pour la première fois depuis bien longtemps, tu souriais, le visage légèrement égayé, on ne voyait pas tes dents, tu ne débordais pas d’une joie de vivre exceptionnelle, mais t’étais heureux, heureux d’avoir quitté ton coin, ton trou, ta caverne, ton cauchemar. Tu t’étais avec quelques sous à peine dans tes poches, une lettre laissée à tes parents pour ne pas te faire rechercher par les flics et vivre tranquillement cette vie, ce nouveau départ qui s’offrait à toi. Tu prenais une photo du soleil qui montrait le bout de son nez, des rayons qui perçaient les nuages, dissipant cette masse blanche pour laisser paraître des milliers de kilomètres sous tes pieds, de l’eau, un miroir scintillant qui reflétait la lueur qui naissait en ce début de matinée. T’avais partagé ce moment magique avec ta famille, leur envoyer ce qui se cachait de l’autre côté des montagnes comme si tu sortais d’une grotte, t’avais l’impression d’être un primate qui découvrait le monde, un paysans qui sortait de ses champs – dans ton cas de la toundra – pour la première fois de sa vie. Tu renonçais à renouer les liens avec les personnes qui partageaient ton sang, t’avais démarré une nouvelle vie, tu ne pouvais retourner en arrière, tu te laissais aller sur le siège, t’enfonçant un peu plus dedans pour t’endormir. Le voyage était long, trop long, tu ne savais plus où t’allais, tu te le demandais, essayant de te rappeler du nom de cette foutue ville. Eden, Eden Isle, une destination qui t’était totalement inconnue, tu ne connaissais rien de ce lieu et pourtant, t’allais débarquer comme une fleur. Trouver un boulot, chercher un logement pour ne pas mourir de froid, pour tout dire, t’avais l’avantage de résister aux températures les plus extrêmes, un bon point si tu devais dormir sur un trottoir. On peut dire que malgré tout, tu t’en étais bien sortis, tu t’étais activé, vaquant de petit boulot en job plus conséquent jusqu’à te retrouver gouvernant dans un hôtel. C’était pas ton rêve, il fallait l’avouer, mais au moins t’avais de l’argent et de quoi te loger, t’étais pas heureux, tu désespérais, ta vie n’était pas celle que t’imaginais mais qu’est-ce que tu pouvais faire ? Ton destin, ton chemin, tout était un échec complet et t’avais appris à vivre avec.